L’aliéniste Paul Louis Ladame (1842-1919) : séparer le malade du coupable et le criminel de l’innocent.

L’aliéniste Paul Louis Ladame (1842-1919) : séparer le malade du coupable et le criminel de l’innocent.

par M. Michel Porret
professeur d’histoire moderne à l’Université de Genève

Jeudi 5 décembre 2019
Aux Archives d’État de Genève

Né à Neuchâtel, élève du psychiatre humaniste Wilhelm Griesinger de Zurich, éminent praticien, philanthrope, directeur de l’orphelinat de Dombresson (1880-1883), médecin légiste, hygiéniste, criminologue, adepte de la médecine sociale, « anthropologiste » et historien, membres d’innombrables sociétés savantes, orateur remarqué en 1896 au IVe Congrès international d’anthropologie criminelle (Genève), Paul-Louis Ladame a laissé près de 200 publications qui déploient les enjeux de ses savoirs enseignés durant sa charge de privat docent (24 ans) aux facultés de médecine et de droit à l’Université de Genève.

Familier des archives judiciaires, il y exhume notamment le procès de Michée Chauderon (ultime « sorcière » exécutée à Genève – 6 avril 1652) qu’il publie en 1888 dans la Bibliothèque diabolique de son confrère neurologue de Bicêtre Désiré-Magloire Bourneville (1840-1909). Préoccupé par la généalogie de la médecine mentale, il rédige la biographie intellectuelle de l’aliéniste précurseur genevois Gaspard De la Rive (1770-1834) et s’intéresse aussi avec le psychiatre de Saint-Anne Emmanuel Régis (1855-1918) à la pathologie régicide de l’anarchiste Luigi Lucheni (1873-1910). Alarmé par les ravages de l’alcoolisme, du suicide et de la prostitution, compatissant à la détresse institutionnelle et morale des enfants orphelins, abolitionniste de la mort pénale, théoricien du « patronage des aliénés en Suisse », il est notamment expert pour la défense au « procès mémorable » de Jeanne Lombardi égorgeuse à Genève de ses quatre enfants en 1885 dont il publie une longue relation dans les Archives de l’Anthropologie criminelle et des sciences pénales (1886-1887) d’Alexandre Lacassagne (1843-1924).

Incarnant avec d’autres médecins la conquista aliéniste fin de siècle, il consacre sa leçon d’ouverture à l’Université de Genève (30 octobre 1886) à la médecine légale de la folie homicide. Éthologiste de la criminalité qu’il lie à la question sociale de la misère que l’État devrait prévenir, Ladame vise à objectiver la nosographie de la folie criminelle. Selon lui, l’alliance épistémologique entre l’anthropologie criminelle du milieu social et la psychiatrie médico-légale permettront de séparer le « malade du coupable », le « criminel de l’innocent » et les « scélérats responsables » des « aliénés irresponsables ». Cette communication suivra les grandes lignes du projet médico-légal de Paul-Louis Ladame.

Professeur d’histoire moderne UNIGE, coordinateur de l’équipe DAMOCLES, fondateur et rédacteur de Beccaria. Revue d’histoire du droit de punir, président des Rencontres internationales de Genève, Michel Porret vient de publier : Le sang des Lilas. Une mère criminelle égorge ses quatre enfants à Genève en 1885, Genève, Georg, automne, 2019.

 

Les inédits du Journal de Colladon

Les inédits du Journal de Colladon

par Monsieur Patrice Delpin,
enseignant d’histoire à la retraite  

Jeudi 14 novembre 2019 à 18 h. 30
Archives d’État de Genève, Ancien Arsenal

1, rue de l’Hôtel-de-Ville

 

En 1883, une copie du Journal d’Ésaïe Colladon (1600-1605), acquise deux ans auparavant, est transcrite et éditée par le célèbre libraire genevois John Jullien avec une introduction de l’Archiviste d’État Théophile Dufour.

135 ans plus tard, l’identification du manuscrit autographe va être l’occasion d’une réédition complète, avec de nombreuses corrections et des ajouts, accompagnée d’un commentaire scientifique.

Plusieurs passages inédits d’une à soixante lignes seront révélés, le plus spectaculaire étant une description des derniers jours, du décès et de l’enterrement de Théodore de Bèze par son ami et médecin personnel, Esaïe Colladon lui-même.

Patrice Delpin, enseignant d’histoire au Collège à la retraite (ancien secrétaire de la SHAG), poursuit des recherches sur les récits de l’Escalade de 1602 ; il a découvert plusieurs documents et textes inédits, dont ceux présentés ce soir.

BGE, Ms. suppl. 30/24, fol. 174

Les origines genevoises de l’économie politique de Sismondi

Les origines genevoises de l’économie politique de Sismondi

par Monsieur Pascal Bridel,
professeur honoraire d’économie politique à l’Université de Lausanne

Jeudi 31 octobre 2019 à 18 h. 30 

Archives d’État de Genève, Ancien Arsenal
1, rue de l’Hôtel-de-Ville

 

Dans la foulée de la récente édition des Œuvres économiques complètes de Sismondi (6 volumes, Paris, Economica, 2012-2019), cette communication s’efforce de situer les racines genevoises de l’économie politique sismondienne. Initiée dès la Statistique du département du Léman (1801) et La richesse commerciale (1803), la philosophie politique de Sismondi inaugure la difficile intégration de la théorie économique dans son ambitieuse trilogie « liberté-bonheur-richesse » qu’il poursuivra tout au long de sa carrière.

Surplombée par une vision romantique des relations économiques dans de petites structures politiques (les républiques italiennes du Moyen Âge et sa bien-aimée Ginevra celeste), l’économie politique sismondienne dépasse néanmoins très largement ses origines genevoises pour atteindre, dans sa critique de la chrématistique des économistes anglais, une formulation universelle qui trouve encore aujourd’hui toute son actualité : « La richesse est-elle le but de la société, ou le moyen d’atteindre son but ? » écrit-t-il encore et toujours en 1838.

Quelques réflexions sont également offertes sur l’opposition entre la « liberté des modernes » (ou liberté civile) qu’il construit avec Benjamin Constant et la « liberté illimitée de l’industrie » des économistes anglais. Si la liberté civile est indispensable à la croissance économique, la poursuite exclusive de la richesse utilisant la concurrence de tous contre tous finit par nuire dangereusement à cette liberté des modernes.

Pascal Bridel est professeur honoraire d’économie politique à l’Université de Lausanne, PhD econ University of Cambridge, fondateur du Centre Walras-Pareto, ancien conseiller scientifique à la Banque nationale suisse, éditeur des Œuvres économiques complètes de Sismondi (2012-2018).

Portrait de  Jean-Charles-Leonard Simonde dit de  Sismondi (1773-1842),
économiste  et historien genevois,
© Bibliothèque de  Genève

« Ce paquet n’a pas été porté par les hirondelles ». Les postes dans la République de Genève (1669-1790).

« Ce paquet n’a pas été porté par les hirondelles ». Les postes dans la République de Genève (1669-1790).

de Claude Danielle Barambon.

La République de Genève, minuscule État souverain, ne possède pas de poste propre. Ses relations extérieures, les besoins de son économie, ainsi que l’entretien des liens qui rattachent nombre de ses habitants soit aux membres de leurs familles établis à l’étranger, soit aux réseaux européens lettrés et savants, imposent toutefois la connexion de la ville à une système efficace de circulation de l’écrit.

À partir de 1669, la France puis Berne ouvrent en ville, avec l’accord circonspect des autorités genevoises, des bureaux de leurs postes. Ces institutions étrangères obéissent à leurs gouvernants respectifs, sous la houlette toutefois de directeurs genevois. S’engage une négociation permanente et souvent tendue entre la République et les instances postales et politiques des États concernés. Malgré les différends, malgré les « plaintes continuelles » concernant des tarifs jugés exorbitants, les liaisons postales sont régulières. Cartes, guides et almanachs permettent de prévoir la durée des trajets et le coût des envois. Les usagers cherchent à réduire les frais de port, à se prémunir contre les aléas des incessants conflits armés qui perturbent la communication postale, à gérer le trafic des paiements par lettre de change ou en numéraire, à dissimuler parfois aussi des activités illicites.

L’examen des activités des bureaux des postes genevois, du volume et des coûts des échanges, des modalités de réception et d’expédition du courrier, de la régularité et de la sécurité des envois montre une organisation efficace dont bénéficie l’Europe des Lumières.

 

Visite de l’exposition « Silences « 

Visite de l’exposition « Silences « 

par Madame Lada Umstätter,
commissaire de l’exposition,

Samedi 12 octobre 2019 à 11 h. 00 ,

Musée Rath
1, place de Neuve

Silencieux, les arts plastiques le sont par essence, comme le rappelle l’expression « image muette », employée dès l’Antiquité pour désigner la peinture. Mais toute œuvre d’art est-elle pour autant silencieuse ? Il est des peintures bavardes, criardes même, et d’autres qui se tiennent « coites ». Certaines incitent à l’intériorité de la prière, d’autres ouvrent à la contemplation de l’infini ; certaines nous laissent interdits ou dans l’effroi, d’autres, énigmatiques et secrètes, semblent une matérialisation de l’ineffable.

Mêlant les genres, les motifs et les époques, de la concentration des natures mortes aux grands espaces silencieux, de la scène de genre – expression d’un quotidien idéalisé ou lieu trouble du non-dit – à la scène religieuse se présentant comme une manifestation du sacré, en passant par l’autoportrait mélancolique, cette exposition propose une expérience de différentes formes du silence, envisagé non seulement comme absence de bruit, de son ou de parole, mais aussi comme un état, une présence au monde, dont certaines œuvres d’art nous offrent une forme condensée.

Lada Umstätter est conservatrice en chef responsable du domaine Beaux-arts au Musée d’art et d’histoire de Genève depuis 2017. Née à Moscou, elle y a étudié l’histoire de l’art à l’Université Lomonossov et a travaillé dans les domaines de la muséographie, de l’enseignement et de la communication culturelle en Russie, en Suisse, en Israël et aux États-Unis. Spécialiste de l’art suisse et européen du XXe siècle, ainsi que de l’art religieux contemporain et de l’histoire culturelle de l’URSS, Lada Umstätter a soutenu une thèse de doctorat en 2003. Enseignante à l’Université de Genève de 1999 à 2006, directrice du Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds de 2007 à 2017, elle a écrit plusieurs livres, dirigé ou participé à de nombreuses publications, et a été la commissaire de plus de cinquante expositions.

Luigi Rossi (1853-1923), Rêves de jeunesse, 1894,
© Musée d’art et d’histoire de Genève
Photo : D. De Carli