Genève diabolique ? Visions et divisions du monde au prisme de la filiation entre protestantisme et démocratie

Genève diabolique ? Visions et divisions du monde au prisme de la filiation entre protestantisme et démocratie

par Monsieur Marc Aberle
docteur en histoire de l’Université de Neuchâtel,
post-doctorant et chargé de cours à l’Université de Genève

Samedi 16 septembre 2021 à 18 h. 30,

Archives d’État de Genève,
1, rue de l’Hôtel-de-Ville


« Là est la part de Genève dans la formation de l’État moderne. La démocratie y apparaît comme la face politique de la Réforme ».

En 1923, les mots de l’historien Charles Borgeaud, inspirateur et promoteur du Mur des Réformateurs, sonnent comme un hommage appuyé au rôle de Genève et du calvinisme dans l’émergence du monde politique moderne et de nos démocraties libérales.

Près d’un siècle plus tôt, en 1835, alors que les préparatifs du jubilé de la Réforme vont bon train, Jean-François Vuarin profite de l’inauguration de la statue de Rousseau sur l’île éponyme pour souligner un lien similaire, mais chargé négativement : « Dans l’hypothèse du triomphe des monarchies, telles que le temps les as faites, la statue de Rousseau ne s’élèvera-t-elle pas contre Genève comme un terrible accusateur ? »

Dans l’histoire intellectuelle postulant une affinité élective entre le protestantisme et la démocratie, Genève semble captive de cette image ambivalente. Or, comment les auteurs à l’origine de ces représentations en clair-obscur appréhendent-ils le rôle du calvinisme en regard de l’émergence de la modernité politique et religieuse ? Qu’entendent-ils par protestantisme et par démocratie ? Quels motifs pourraient expliquer cette parenté saluée par les uns et diabolisée par les autres ? La conférence reviendra sur ces questionnements ayant jalonné une recherche historique récente et interrogera les représentations de la Genève réformée à l’époque contemporaine et moderne.

Marc Aberle est docteur en histoire de l’Université de Neuchâtel, où il a soutenu une thèse de doctorat intitulée La démocratie du croire. Une histoire régressive de la généalogie politique du protestantisme et des républiques entre Suisse et France (xviiie et xixe – xvie siècle). Après avoir collaboré au projet FNS « Réformation et votations », dirigé par Olivier Christin, il est actuellement post-doctorant et chargé de cours à l’Université de Genève, où il s’occupe de la coordination des Sixièmes Journées suisses d’histoire.

 

Saconay Gabriel de, Généalogie et la fin des Huguenaux, & descouverte du Calvinisme: Où est sommairement descrite l’histoire des troubles excitez en France par lesdits Huguenaux, jusques à present, Lyon, Benoist Rigaud, 1573 (détail).

Un projet d’île industrielle selon l’ingénieur Guillaume Henri Dufour ou les prémisses d’une exploitation rationnelle du potentiel énergétique du Rhône genevois

Un projet d’île industrielle selon l’ingénieur Guillaume Henri Dufour ou les prémisses d’une exploitation rationnelle du potentiel énergétique du Rhône genevois

!! Attention, pour assister à l’évènement, 
réservation obligatoire au 022 327 93 20 ou info@shag-geneve.ch !!

Jeudi 15 octobre 2020
18 h. 30,
Archives d’État

Conférence de Monsieur Bénédict Frommel,
historien

En 1886, l’ensemble des établissements traditionnels – moulins et ateliers industriels – mus par les eaux du Rhône à la hauteur de Genève sont démantelés, mettant ainsi un terme à plus d’un millénaire et demi d’exploitation. Ils sont remplacés par une installation unique et surpuissante, l’Usine des forces motrices de la Coulouvrenière. Ce changement de modèle consacre l’abandon d’une production énergétique dispersée et techniquement empirique au profit d’une gestion de la ressource hydrique centralisée et organisée rationnellement. C’est ainsi que la nouvelle installation, en plus de fournir au secteur industriel l’énergie dont il a besoin pour mouvoir ses machines, assure également l’approvisionnement de la population en eau et la régularisation du niveau du lac Léman.

Dans le processus ayant mené à cette mutation, il apparaît que Guillaume Henri Dufour a joué un rôle plus significatif que supposé jusqu’ici. En effet, en tant qu’ingénieur cantonal, il élabore au printemps 1848 à la demande du Conseil d’État un projet d’île industrielle qui préfigure sur plusieurs points l’Usine des forces motrices réalisée 35 ans plus tard. Qu’on en juge. Implantée dans le lit du Rhône à la hauteur de la Coulouvrenière, l’île développe 385 m de longueur pour une largeur comprise entre 58 et 78 m. Elle est traversée en son centre par un canal forçant le passage des eaux du fleuve à travers quatre turbines horizontales, un type de moteur alors inédit à Genève. Pour donner corps à l’ouvrage, il est prévu d’extraire les matériaux de l’important fossé entourant Saint-Gervais, transformé de la sorte en canal d’évacuation lors des périodes de hautes eaux du lac Léman. Un pont métallique assure la communication avec la Coulouvrenière. Toutefois, à l’été 1848, Dufour recommande l’abandon de son projet. Raison invoquée, un coût de réalisation disproportionné avec les bénéfices escomptés. L’idée d’une gestion plus rationnelle du potentiel énergétique du Rhône n’en continuera pas moins de germer pour aboutir à la révolution technologique apportée par Théodore Turrettini et le Bâtiment des Forces Motrices.

Bénédict Frommel est historien au Service de l’inventaire des monuments d’art et d’histoire (Office du patrimoine et des sites) de l’État de Genève. Il est l’auteur de plusieurs études, expositions et publications sur le patrimoine industriel, hydraulique et rural local. Il a par ailleurs collaboré à la rédaction des quatre premiers volumes genevois de la série Monuments d’art et d’histoire publiée par la Société d’histoire de l’art en Suisse.

© Reconstitution du projet d’île industrielle par G. H. Dufour (1848)
sur la base de la carte Mayer de 1822 (BGE).

Entre soutien, discrétion et résilience : Jean Piaget et les psychologues réfugiées juives de 1933 à 1945.

Entre soutien, discrétion et résilience : Jean Piaget et les psychologues réfugiées juives de 1933 à 1945.

!! Attention, pour assister à l’évènement, 
réservation obligatoire au 022 327 93 20 ou info@shag-geneve.ch

Jeudi 24 sept. 2020
18 h. 30

Archives d’État

Conférence de M. Marc J. Ratcliff,

Archives Jean Piaget & FPSE, Université de Genève

Au cours de cette présentation, le conférencier nous exposera les moyens par lesquels le psychologue Jean Piaget – ainsi que les membres de l’Institut Rousseau des sciences de l’éducation à Genève (abrégé IJJR) – ont aidé les réfugiées juives du début des années 1930 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Depuis sa création en 1912, l’IJJR a accueilli de nombreux élèves réfugiés et les années 30 ont vu une augmentation du nombre d’élèves juifs. Les Archives montrent que Piaget a été fort actif pour les soutenir, particulièrement les psychologues juives d’Allemagne et des pays de l’Est, en les aidant à rester à Genève et en intervenant pour organiser leur départ dans des pays plus sûrs. Il a utilisé à cette fin son influence et ses réseaux, formels et informels. Ceci, dans un souci de discrétion qui, jusqu’à aujourd’hui, avait entièrement fait oublier cet épisode. Toutefois, le soutien n’est qu’un volet de l’affaire. Les réactions des acteurs et actrices, que l’on peut identifier comme de la résilience, constituent une partie essentielle de l’histoire et contribuent à expliquer les destinées individuelles. M. Ratcliff suivra les chemins et les formes de résiliences de trois psychologues juives, Renate Kersten, Mariane Wohlgemuth et Kate Wolf, ayant, grâce à l’aide de Piaget, émigré respectivement en République Dominicaine, au Brésil et aux Etats-Unis.

Marc J. Ratcliff est Dr en psychologie (1995) et en histoire des sciences (2002), MER en FPSE, section de psychologie, Université de Genève, où il enseigne l’histoire de la psychologie et l’épistémologie. Il est l’auteur de nombreuses publications d’histoire des sciences, d’épistémologie et d’histoire de la psychologie.

© Achives institut Jean-Jacques Rousseau. Photographe présumé: Edouard Claparède

Empreintes sportives

Empreintes sportives

par Monsieur Flavio Borda d’Agua,
commissaire de l’exposition

Samedi 22 février 2020 à 11 h.00

Archives d’État de Genève, Ancien Arsenal,
1, rue de l’Hôtel-de-Ville

Quelle est l’évolution de la pratique du sport à Genève ? Quel est son rapport avec l’espace urbain et la toponymie ? Les noms de rues qui portent une appellation sportive ont-ils un lien direct avec une discipline particulière ? Pourquoi parler de Rois à Genève ? Quelle influence la cité a-t-elle eue sur le développement et l’affirmation de certains sports ? Et surtout, que reste-t-il de l’esprit sportif des temps passés ?

L’exposition présentée aux Archives d’État met en scène une quinzaine de sports montrant leur présence forte à Genève, dont certains depuis le Moyen Âge : jeu de paume, nautisme, arc, arquebuse, équitation, escrime, boxe, sports d’hiver, natation, automobilisme, cyclisme, rythmique et gymnastique rythmeront la visite du public à travers leurs empreintes urbanistiques.

Évoquer le sport, c’est également l’occasion de mentionner des projets urbanistiques qui ont changé le visage de Genève. Divers aménagements destinés à accueillir une quinzaine de sports différents ont disparu avec l’apparition d’immeubles à la place d’anciennes infrastructures sportives. Ainsi, l’un des axes de l’exposition est d’inscrire ces activités sportives dans la toponymie genevoise et de montrer que le sport a une véritable empreinte dans les rues et l’espace urbain de la cité.

Flávio Borda D’Água est archiviste aux Archives d’État de Genève et Conservateur adjoint à l’Institut et Musée Voltaire de la Bibliothèque de Genève. Il consacre une grande partie de ses recherches autour de la police à Lisbonne au XVIIIe siècle ainsi qu’à la réception des Lumières. En marge de ses recherches, et dans le cadre de ses fonctions professionnelles, il met en œuvre des projets de valorisation du patrimoine dix-huitièmiste par l’intermédiaire d’expositions, de colloques, de conférences et d’activités de médiation scientifique et culturelle. Il participe également, et activement, dans les réseaux scientifiques internationaux et est l’auteur de deux monographies et de plus de trente articles. Flávio Borda D’Água est par ailleurs très actif dans les sociétés scientifiques, savantes et professionnelles parmi lesquelles la Société académique, la Société suisse d’histoire, la Société d’histoire de la Suisse romande, la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, dont il est le trésorier. Il est également membre de l’ICOM Suisse, de l’ICA et depuis janvier 2019 délégué à l’UNICEF Suisse et Liechtenstein.

 

 

Le Cœur de l’Europe. Genève et son œuvre humanitaire pendant la Première Guerre mondiale.

Le Cœur de l’Europe. Genève et son œuvre humanitaire pendant la Première Guerre mondiale.

par M. Cédric Cotter
chercheur en droit et politiques humanitaires au CICR

Jeudi 16 janvier 2020
à 18h30
Archives d’État de Genève

Pendant la Première Guerre mondiale, la Suisse a vécu une expérience particulière. Sans être en guerre, elle n’a pas vécu une situation de paix pour autant. Les conséquences du conflit ont largement affecté le pays et engendré de nombreuses difficultés pour la population et ses autorités. L’humanitaire s’est révélé être à la fois un symptôme et un remède à cette situation. Ville hôte du CICR et de très nombreuses organisations charitables, Genève a joué un rôle central dans l’œuvre humanitaire de la Suisse.

Cette conférence se propose d’aborder succinctement ce sujet et, à travers plusieurs questionnements, de mettre en évidence quelques-unes des principales caractéristiques de la Genève humanitaire à cette époque. Quelles œuvres charitables ont été initiées depuis Genève, et par qui ? À qui s’adressaient-elles ? Cet engagement a-t-il été massif ? Enfin, en quoi l’allègement des souffrances de la guerre a-t-il contribué à mieux vivre cette période de doutes et de craintes, entre la guerre et la paix ?

Cédric Cotter a étudié l’histoire et la philosophie à l’Université de Genève. Il a ensuite occupé plusieurs fonctions au siège du CICR de 2009 à 2011 avant de rejoindre en 2012 un projet du fonds national suisse de la recherche scientifique consacré à l’histoire de la Suisse pendant la Première Guerre mondiale et réunissant les Universités de Zurich, Berne, Lucerne et Genève. C’est dans ce cadre qu’il a défendu fin 2016 sa thèse intitulée (S’)Aider pour survivre. Action humanitaire et neutralité suisse pendant la Première Guerre mondiale. Celle-ci a été publiée chez Georg éditeur et est co-lauréate du prix d’histoire 2017 de l’Institut national genevois. Il compte une dizaine de publications essentiellement liées à l’histoire de l’action humanitaire. Cédric Cotter occupe actuellement la fonction de chercheur en droit et politiques humanitaires au CICR et travaille sur l’impact du droit international humanitaire dans les conflits armés passés et contemporains.

© Archives audiovisuelles du CICR (n°V-P-HIST-03530-02)

 

 

L’aliéniste Paul Louis Ladame (1842-1919) : séparer le malade du coupable et le criminel de l’innocent.

L’aliéniste Paul Louis Ladame (1842-1919) : séparer le malade du coupable et le criminel de l’innocent.

par M. Michel Porret
professeur d’histoire moderne à l’Université de Genève

Jeudi 5 décembre 2019
Aux Archives d’État de Genève

Né à Neuchâtel, élève du psychiatre humaniste Wilhelm Griesinger de Zurich, éminent praticien, philanthrope, directeur de l’orphelinat de Dombresson (1880-1883), médecin légiste, hygiéniste, criminologue, adepte de la médecine sociale, « anthropologiste » et historien, membres d’innombrables sociétés savantes, orateur remarqué en 1896 au IVe Congrès international d’anthropologie criminelle (Genève), Paul-Louis Ladame a laissé près de 200 publications qui déploient les enjeux de ses savoirs enseignés durant sa charge de privat docent (24 ans) aux facultés de médecine et de droit à l’Université de Genève.

Familier des archives judiciaires, il y exhume notamment le procès de Michée Chauderon (ultime « sorcière » exécutée à Genève – 6 avril 1652) qu’il publie en 1888 dans la Bibliothèque diabolique de son confrère neurologue de Bicêtre Désiré-Magloire Bourneville (1840-1909). Préoccupé par la généalogie de la médecine mentale, il rédige la biographie intellectuelle de l’aliéniste précurseur genevois Gaspard De la Rive (1770-1834) et s’intéresse aussi avec le psychiatre de Saint-Anne Emmanuel Régis (1855-1918) à la pathologie régicide de l’anarchiste Luigi Lucheni (1873-1910). Alarmé par les ravages de l’alcoolisme, du suicide et de la prostitution, compatissant à la détresse institutionnelle et morale des enfants orphelins, abolitionniste de la mort pénale, théoricien du « patronage des aliénés en Suisse », il est notamment expert pour la défense au « procès mémorable » de Jeanne Lombardi égorgeuse à Genève de ses quatre enfants en 1885 dont il publie une longue relation dans les Archives de l’Anthropologie criminelle et des sciences pénales (1886-1887) d’Alexandre Lacassagne (1843-1924).

Incarnant avec d’autres médecins la conquista aliéniste fin de siècle, il consacre sa leçon d’ouverture à l’Université de Genève (30 octobre 1886) à la médecine légale de la folie homicide. Éthologiste de la criminalité qu’il lie à la question sociale de la misère que l’État devrait prévenir, Ladame vise à objectiver la nosographie de la folie criminelle. Selon lui, l’alliance épistémologique entre l’anthropologie criminelle du milieu social et la psychiatrie médico-légale permettront de séparer le « malade du coupable », le « criminel de l’innocent » et les « scélérats responsables » des « aliénés irresponsables ». Cette communication suivra les grandes lignes du projet médico-légal de Paul-Louis Ladame.

Professeur d’histoire moderne UNIGE, coordinateur de l’équipe DAMOCLES, fondateur et rédacteur de Beccaria. Revue d’histoire du droit de punir, président des Rencontres internationales de Genève, Michel Porret vient de publier : Le sang des Lilas. Une mère criminelle égorge ses quatre enfants à Genève en 1885, Genève, Georg, automne, 2019.